Dans son atelier Éloïse est absorbée dans la contemplation de la toile qui trône devant elle.
« Quelle idée excitante, cela faisait longtemps que je n'avais pas exercé mon art »
Le projet qu'elle a choisi de réaliser devrait plaire à sa destinataire, dans un genre plutôt classique mais d'une forme inhabituelle. En effet, la toile qu'elle a choisi fait 30 mètres sur 5.
Éloïse décida d'y représenter une chasse à courre dans une forêt luxuriante. Il y aura des femmes en belle tenue montant en amazone des pur-sang au pelage brillant. Des hommes en veste courte et jodhpurs, certains soufflant dans des trompettes étincelantes. Des hommes en livrée écarlate tiendraient des chiens de race en laisse. Cependant, là où dans les tableaux de chasse usuels l'animal chassé serait une biche gracile, nos chasseurs pourchasseraient une jeune femme blonde à la peau nacrée et aux yeux azurs.
Un faux cadre en trompe l'œil borderait la peinture et le milieu de ce cadre seraient couronné des armoires Ventrues ainsi que celles personnelles de la destinataire de l'œuvre.
Si un observateur méticuleux décidait de regarder les visages des gens de la cour à la loupe il verrait luire de petites canines pointues sur les bouches rouges des chasseurs. Il verrait également que les fleurs de la clairière dans laquelle ils débouchent, si colorées et si satinées sous les pas de la proie, dépérissent et se fanent sous le pas des cheveux. Si l'on porte d'avantage d'attention, on pourra reconnaitre les traits, parmi la meute des chasseurs, des vampires de Lausanne.
La lumière à la droite du tableau, surplombant la jeune créature blonde, tombera en cascade illuminant tout le coin droit et le ciel sera d'un bleu immaculé. A l'inverse le ciel, à la gauche, au dessus des chasseurs, sera noir et menaçant. Cependant, cette noirceur ne viendrait pas des gens de la cour mais du ciel même, comme si une malédiction divine planait sur ces nobles gens.
Le tableau ne prendra tout son sens que lorsqu'il tapissera une pièce ronde aux mesures de l'œuvre. La fin du tableau y rejoindra le début, et dès lors la proie deviendra le chasseur et les poursuivants, les bêtes traquées par le soleil qui illumine les pas de la jeune femme.