Dans la nuit du 8 au 9 mai...

En descendant de la limousine, Caterina salue son frère et son grand-père d'un air absent; plongée dans ses pensées, elle franchit le seuil du Château de la Rive et, contrairement à ses pairs qui s'apprêtent à rejoindre leurs appartements, se dirige vers le pavillon-véranda. L'air ambiant est frais et humide, et la pluie heurte le verre comme autant de petits claquements de doigt.

"Fichtre, décidément cela me rappelle le premier manoir de la Golden Dawn ma chère!"

Caterina renvoie les quelques membres de la famille n'ayant pas encore reçu le Don et veillant au confort de leurs maîtres; elle a besoin d'être seule pour mieux réfléchir. Malgré sa maîtrise d'elle-même, elle sent une très légère tension la parcourir le long de sa colonne vertébrale. Qu'importe, elle balaie immédiatement cette sensation d'un revers de la main et retrouve aussitôt la stature et le calme innébranlables de tout Giovanni digne de ce nom.

"Attention douce Caterina, ton cher grand-père n'apprécierait guère de te savoir sujette à des accès de colère... et je n'aime pas te voir dans ces états..."

"Allons Nicolas, vous êtes un rabat-joie! Je puis vous assurer que lorsque je la cotoyais de mon vivant, elle savait succomber à ses sensations!"

"Vous êtes un porc, comme toujours, Aleister..."

Pauvres d'eux... Le sénéchal et le primogène ne sont que deux aveugles perdus dans la nuit éternelle... Malgré leurs beaux discours, ils s'accrochent désespérément à leurs préjugés et à quelque reste d'honneur qu'ils ont eux-même foulé au pied. Ne comprennent-ils donc pas qu'ils se font piéger par leur entourage? Et sous leur nez, des traîtres qui n'appartiennent même pas au clan qu'ils annoncent, se rient d'eux et s'apprêtent à les jeter à terre.

Quelle ironie! Pour une fois que ce ne sont pas les Giovanni qui complotent dans l'ombre!

"Ne pas comploter, ne pas comploter... Il ne faut rien exagérer, vous êtes et resterez une Giovanni! Si seulement j'avais eu connaissance des créatures comme vous du temps où j'écrivais "l'Enfer", ah! Mon oeuvre aurait eu un sens très différent!"

Mais Caterina ne ressent aucune peur; bientôt elle pourra accomplir ce pourquoi elle s'est déplacée, et tous verront qu'elle est une nécromancienne bien plus puissante que tous ces petits joueurs qui titillent le Voile du doigt, sans oser s'y confronter et s'y abandonner... Connaître et contrôler les Limbes, voilà qui n'est pas donné à tous... Il faut d'en montrer digne, et pour autant qu'elle ait pu en juger, aucun membre de cet Elyseum au bord de la chute n'en est capable. Dans leur quête désespérée de "non-vie", les vampires oublient toujours un pan de leur existence, et Dis Pater seul sait à quel point l'au-delà est riche en enseignement et autres pouvoirs.

Le primogène devra bientôt se rendre à l'évidence; sans Caterina, il n'aura aucune chance de contrôler ce qui erre d'ors et déjà dans les souterrains et qui se répand comme la peste, invisible aux yeux de ceux des vampires qui n'ont pas le "pouvoir". Patience, ma fille, bientôt il reconnaîtra son erreur. Espérons qu'il ne tardera point trop...

"Allons bon, voilà qu'elle remet cela..."

"Dante, je vous rappelle que vous faites partie de "cela", ayez un peu plus de respect à l'égard de celle qui nous a évoqué!"

"Toi l'alchimiste, cesse avec tes grands airs!"

SILENCE VOUS TROIS!!!

...

Caterina vide son esprit; il est temps d'aller à la rencontre des "habitants invisibles". Assise dans un fauteuil en velours rouge, elle ferme les yeux et se concentre quelques minutes. Les clapotis de la pluie sur la véranda se font petit à petit moins insistants... puis ils deviennent un ronronnement sourd, emplissant la pièce. Et soudain, soudain... imperceptiblement, Caterina détecte une plainte, loin, derrière les bruits de la nuit... Ils sont là.

Elle ouvre les yeux sur le balai des revenants, esprits attaché à cet endroit et cachés derrière le Voile qu'elle vient de déchirer. Ils sont nombreux ce soir... ou peut-être est-ce la proximité de Lausanne, cette ville qui renferme un sous-sol très "agité". Ils semblent interloqués et en effervescence, ils doivent avoir tant de choses à raconter ces petits cachotiers... Caterina observe quelques instants la cohue des fantômes puis soudain, en désigne un du doigt:

"Toi, qui es l'un des esprits les plus forts ici, je dois discuter avec toi; tu vas m'aider à découvrir ce que j'ignore encore."

"Sais-tu à qui tu parles, non-morte? Je ne suis pas celui que tu cherches et je ne suis pas à tes ordres."

"Oh, je le sais bien... Et pourtant tu vas me servir tant que j'aurai besoin de toi."

Caterina crispe la main, toujours tendue en direction du revenant; elle referme les doigts comme sur un lien inteangible et attire l'esprit impuissant vers elle. Lorsqu'il se trouve à quelques centimètres de son visage, elle ferme les yeux durant un court instant et hume doucement le parfum nauséabond et glacé de son interlocuteur, tandis que ses lèvres ébauchent un sourire de plaisir macabre et que sa langue humecte celles-ci avec perversité...

"La cruauté dont on fait preuve au cours de sa vie transparaît après la mort, le savais-tu? Tu as du commettre bien des crimes pour me sembler aussi attirant... Fort bien, à présent tu vas me parler de cette cité lausannoise que tu parcours depuis tous ces siècles... Je veux en connaître le moindre détail. Ah oui, j'oubliais... Tu préviendras les esprits de Roger de Vico-Pisano et de Berthold de Neuchâtel que je désire les contacter... Et à présent je t'écoute..."